Le métier de l’éducateur en milieu psychiatrique : une nouvelle approche au CNPK ?
Lorand Tom et Palmeri Eline sont des éducateurs spécialisés en accompagnement psycho éducatif à la HELHa de Gosselies en Belgique qui viennent de passer plus de deux mois de stage au @CNP_Kamenge auprès des malades dans le cadre du projet de l’ARES. Ils nous livrent ici leur témoignage sur leur parcours au centre.
En quoi consiste le métier d’un éducateur ?
Définissons d’abord l’éducateur : « c’est la personne qui favorise par la mise en place d’outils de techniques spécifiques, la maturation sociale, l’autonomie et le développement personnel des personnes qu’il accompagne ». Dans d’autres termes, c’est le professionnel du « relationnel » qui va accompagner le patient, ou même plus largement dans d’autres secteurs des bénéficiaires, pour stimuler chez eux toute une série de compétences que l’usager a envie de travailler.
Y’a-t-il une différence entre l’ergothérapie et les activités de l’éducateur ?
C’est compliqué de répondre à cette question, car tout dépend de quelle « ergothérapie » on parle. L’ergothérapie belge n’a rien à voir avec ce qui se pratique au CNPK, dans le sens où les activités réalisées ici relèvent davantage du champ de l’éducateur que celle de l’ergothérapeute. L’ergothérapie qui se pratique en Belgique est à mi-chemin entre la prise en charge clinique et l’accompagnement éducatif. En tant qu’éducateurs spécialisés, nous sommes centrés sur l’aspect éducatif, et ce qui se fait ici au CNPK se rapproche des activités que nous pourrions mettre en place en Belgique, et donc du métier de l’éducateur.
Partagez-nous votre expérience ici au CNPK.
Ça a été une expérience à la fois enrichissante et complexe. Complexe, parce qu’au Burundi, le métier d’éducateur spécialisé tel qu’on le connaît en Belgique n’existe pas vraiment. Le contexte socioculturel ne prévoit pas ce rôle de manière formelle, ou alors sous une forme différente. Par exemple, certaines missions que nous accomplissons en tant qu’éducateurs spécialisés en Belgique — comme accompagner les patients dans les gestes du quotidien, les soutenir dans leur autonomie ou assurer un lien avec leur environnement — sont ici prises en charge par les garde-malades. Ces derniers assurent des tâches comme laver les vêtements, donner à manger, ou accompagner les patients dans leur hygiène corporelle. Ils jouent aussi un rôle de relais entre le patient et la famille. Finalement, les fonctions éducatives existent, mais elles sont réparties entre différents professionnels. Là où l’éducateur intervient en Belgique, d’autres acteurs prennent le relais au Burundi, ce qui montre une autre organisation du soin et de l’accompagnement.
Quelles sont les limites du métier ou celles que vous avez rencontrées ici au CNPK ?
C’est justement ce qui a été évoqué dans la question précédente : trouver sa place dans un contexte où le métier d’éducateur spécialisé n’existe pas est évidemment complexe. On essaie donc d’apporter différentes choses : notre expérience ainsi que nos outils.
Comme limite du métier, l’éducateur spécialisé n’est pas un soignant. Il accompagne dans le processus de rétablissement, mais il ne pose pas de diagnostic et ne prescrit pas de médicaments. En Belgique, il peut donner les médicaments, mais ce n’est pas lui qui les prescrit. Il intervient dans le cadre éducatif du patient, non pas dans le cadre purement clinique.
Une autre limite, c’est que, tout comme le personnel du CNPK, nous ne sommes pas des sauveurs : si le patient ne répond pas au traitement médical et l’accompagnement éducatif, nous n’avons pas de solution miracle pour le guérir.
Y’aurait-il une valeur ajoutée à nous partager ?
Nous pensons que c’est l’ouverture d’esprit. On est souvent très centrés sur ce qui se fait en Belgique, et on reste fermés tant qu’on n’a pas découvert d’autres pratiques ailleurs. Le fait de pouvoir s’ouvrir permet d’explorer d’autres façons de faire, d’autres modes de fonctionnement. Cela ouvre l’esprit, que ce soit ici au CNPK, dans le cadre de notre stage, ou plus largement dans la vie quotidienne. Par exemple, les activités de musicothérapie : en Belgique, c’est quelque chose qui se pratique, mais ici, elles prennent une autre dimension.
Quelle a été la relation entre vous et les patients d’une part et vous entre et le corps soignant d’autre part ?
Avec les patients, ça s’est très bien passé. Il y a eu la barrière de la langue, mais des interprètes étaient présents, et certains patients utilisaient aussi des gestes. La relation était très bonne et saine. En tant qu’éducateur, il est toujours important de se positionner comme un professionnel, et non comme un ami ou un membre de la famille.
Pour les professionnels, les rapports ont été très bons avec certains psychologues et avec le service d’ergothérapie. Par contre, nous avons constaté un manque de coordination entre les différents postes du CNPK, avec peu d’échanges d’informations entre les professionnels. En Belgique, de nombreuses réunions d’équipe sont organisées, notamment autour des projets de vie des personnes, et c’est un point sur lequel on insiste en tant qu’éducateurs spécialisés. Mettre en place un projet de vie est fondamental : il faut quelqu’un qui stimule, motive, et accompagne la personne au-delà de la prise en charge clinique, ce qui peut aider à limiter les rechutes. Il y a parfois une forme de réticence ici, mais globalement, ça s’est bien passé et nous avons eu la chance de rencontrer des personnes ouvertes d’esprit, prêtes à améliorer la prise en charge des patients.
Qu’est-ce qui vous a touché positivement ou négativement ?
Ce qui nous a marqué positivement, c’est la manière dont nous avons été accueillis, presque comme des « rois ». Ce qui est aussi très valorisant, c’est d’avoir été considérés comme des professionnels et non comme de simples stagiaires, ce qui nous a permis de grandir dans notre posture professionnelle.
Ce qui nous a déplu, même si c’est difficile d’agir dessus, c’est la précarité de certaines situations vécues par les patients. Par exemple, un patient était extrêmement joyeux simplement parce qu’il avait reçu un savon. On est formés à prendre une certaine distance, mais avant d’être des professionnels, on est aussi des humains, donc ça nous touche forcément.
Au niveau des infrastructures aussi, il y a de grandes différences, mais on s’y est habitués. Cela renvoie à la question de l’ouverture d’esprit : en tant qu’individus, on est confrontés à des problématiques très diverses.
Étant une nouvelle approche, quelles sont vos propositions et ou conseils ?
Le premier conseil, c’est de mettre en place un véritable projet de rétablissement, qui a autant d’importance que la prise de médicaments ou la prise en charge médicale. Il doit s’appuyer sur les besoins, exprimés ou non, les envies et les motivations du patient : c’est ce qu’on appelle chez nous le projet éducatif en devenir.
Le deuxième point, c’est améliorer l’observation. Les psychologues évaluent les aspects cognitifs du patient, les ergothérapeutes observent et interviennent entre le clinique et l’éducatif, les psychiatres analysent la situation, diagnostiquent et prescrivent, mais il est aussi essentiel d’observer les patients dans leur cadre de vie pour constater les évolutions et mieux intervenir par après.
Le troisième conseil, c’est d’améliorer la communication, car elle est essentielle autant pour les professionnels que pour les patients. Tout le monde doit pouvoir participer aux réunions d’équipe, car ce qui se passe en ergothérapie se perçoit d’une certaine façon, alors que dans les pavillons c’est parfois tout autre chose. Mettre en commun ces observations permet de discuter ensemble de ce qui fonctionne ou pas, et de construire les projets sur cette base.
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